Je n’ai pas de voix intérieure

Pour ce premier long texte concernant mes réalités en tant qu'auteur autiste sans déficience intellectuelle, j'ai décidé d'aborder une découverte que mon intervenant en troubles de l'autisme du CLSC m'a fait réaliser. 

Vous savez, on a tous entendu des gens nous parler de leur voix intérieure, une sorte de petite voix qu'on n'entend pas vraiment mais qu'on perçoit en quelques sortes lorsqu'on réfléchit dans notre tête. Moi j'ai toujours cru que cette notion était de l'ordre des mensonges heureux de neurotypiques, comme lorsqu'ils inventent qu'on a le cœur brisé après une rupture. C'est l'esprit qui est affecté, pas le coeur qui est cassé. 

En fait, durant presque toute ma vie, je croyais que "voix intérieure" était simplement un dérivé pour parler d'une voie intérieure mais avec poésie. Une voie intérieure, ça peut être tangible pour moi mais pas une voix intérieure.

L'autre jour, mon travailleur social me demande si des fois, je perçois un voix intérieure quand je réfléchis. Une sorte de voix mais mutée qui me parle à moi-même. J'étais dubitatif et pressé de tout de suite chercher où il voulait aller avec ça car je ne souffre drôlement pas de schizophrénie. Pour moi, il n'y avait que les schizophrènes qui pouvaient avoir une voix intérieure et je voyais ça comme automatiquement une psychose hallucinatoire. 

Il riait légèrement en coin sans m'expliquer pourquoi cette question et il me l'a reposé plusieurs fois. Je suis devenu un peu inquiet, croyant qu'il essayait de me diagnostiquer schizophrène. 

Mon intervenant a fini par m'expliquer qu'il demandait ça parce que nombre d'autistes comme moi qui n'ont pas de filtre à opinion n'ont carrément pas de voix intérieure. Ils perçoivent autre chose comme des images de mots par exemple. Moi c'est du texte , une ligne de texte déjà écrite comme un souffleur mais il n'y a JAMAIS eu de voix ni même mutée lorsque je réfléchis. Ça ne s'est simplement pas développé chez moi. Autre chose occupe cette zone de mon cerveau. 

Lorsque je me relis, je lis toujours à voix haute et j'ignorais pourquoi faire ça puisque je ne réalise aucune présentation publique. Souvent je fais la narration de ma propre vie dans mon appartement ... et je me demandais pourquoi alors que je suis seul. En fait, ce que les autres réfléchissent , moi je le dis pour me soulager. C'est presque la seule façon.

Pas de zone tampon mais un entonnoir congestionné

Le résultat de ce handicape souvent lié à l'autisme, c'est que notre cerveau n'a pas vraiment de tampon donc les données qu'il veut exprimer s'entassent comme dans un entonnoir jusqu'à ce que l'autiste parle. Lorsque je suis en publique, je suis comme ça tout le long de ma rencontre en famille ou autre. Je ne fais que passer 60% de mes énergies à essayer de bouchonner l'entonnoir mais il va déborder par l'autre bout. C'est pourquoi rencontrer des gens qui aiment les sans filtres et ricanent quand on est insultants malgré nous ... c'est un luxe extraordinaire. Ça explique aussi que la mode du wokisme voulant taire tout propos au nom des sensibilités souvent narcissiques de plusieurs, je vis ça très très mal. Ils me demandent de remplir à l'infini mon entonnoir car tout propos peut choquer quelqu'un presque. Aussi bien ne plus exister que de subir la pression de mes idées qui veulent sortir.

Lorsque je parle , souvent ça sort en diarrhée verbale et j'ignorais pourquoi. C'est parce que mon cerveau sort l'information verbale sans la stocker en tampon. Ça sort comme sur un fil et si on m'interromps , je peux perdre tout le fil .... alors pour vider l'entonnoir, je peux me mettre à parler plus vite ... donnant l'impression que je veux toute la place. J'essaie juste de compléter la vidange d'idées ... et ça laisse l'impression à d'autres que je jette mes vidanges dessus justement ... sauf à des passionnés de dialogues... souvent des femmes qui m'adorent et adorent m'écouter déblatérer des choses intellectuelles comiques.

"Allez-vous le taire le petit philosophe ? "

En général , des gens vont vouloir limiter ma place en coupant mon propos rendu à 75% de mon explication car ils jugent ça trop détaillé. Ensuite, ils m'accusent d'être incohérents alors que la réponse à leur question était dans le 25% restant qu'ils étaient trop impatients pour écouter. Les autistes ont souvent des capacités de prophètes mais ... la moyenne des gens veulent de la " pensée rapide " en 2025, un peu comme de la restauration rapide. Elle doit également , par politesse, suivre un peu la vision tunnel que d'autres ont exprimé devant moi ... mais je ne fonctionne pas comme ça. 

"Pas encore un intellectuel ? Autiste en plus. Un vrai moulin à paroles!"

Ouais et bien je vais répondre à ça. Je vous mettrais au défi de dire tout ce que vous pensez de force sinon devoir vous presque sauver pour ne pas vous faire taper dessus par des hystériques de gauche ou de droite certains de posséder la juste vérité. Je n'ai pas eu le choix de devenir intègre car je ne peux pas jouer aux hypocrites moi sans souffrir énormément. Me demander de mentir , c'est un peu comme me demander de me taper sur un doigt avec un marteau. J'ai intérêt à avoir des raisons si mon cerveau décide de traiter quelqu'un de dangereux taré. 

Ça impose la rigueur de ne pas avoir de filtre. Vous n'avez pas idée à quel point ça serait compliqué pour des gens normaux de juste ne pas avoir de filtres car eux , ils ne sont pas en général aussi obsédés par l'intégrité et bon nombre souhaiteraient la mort de gens sans avoir de raisons , diraient aux dépressifs de se suicider, qu'ils sont pathétiques etc. 

Je peux dire des choses que je ne pense pas pour être poli et m’adapter aux neurotypiques parfois mais c’est une souffrance à chaque fois de le faire et ça me met en état d’hypervigilance comme une personne en choc post-traumatique. C’est pourquoi avoir des gens qui reconnaissent mon autisme dans mon entourage est primordial. Ça me permet de relâcher un peu mon filtre sans subir à chaque fois des peurs que je dise quelque chose de trop tabou. La plupart rient comme ma travailleuse sociale l'autre jour à qui j'ai expliqué sans aucune retenue que je m'étais masturbé à répétition pour dormir durant un rajustement d'horaire de vie difficile donc que tout s'était bien passé. 

Souvent je réalise quand les gens rient ou sont fâchés que bon ... j'ai dit trop ce que je pense et j'essaie de m'ajuster mais il y a toujours du monde pas content , surtout ceux et celles qui nient notre autisme. Ils ou elles veulent nous traiter comme des gens normaux pour servir leur narcissisme donc ils et elles viennent constamment se " péter la gueule " sur nous et ensuite nous blâment.  

Vaut mieux une personne sans VOIX intérieure mais qui a une VOIE intérieure ... parce qu'on peut cacher d'être un bigot quand on a un filtre. Moi je ne peux pas. On peut cacher d'être un sale raciste quand on est neurotypique, juste ne pas révéler notre côté raciste devant telle ou telle autre personne. Moi si j'étais raciste, je ne pourrais pas le cacher comme ça sans souffrir énormément au point de devoir me sauver d'une conversation. C'est un cadeau si on veut le prendre du bon côté car c'est un gage d'intégrité l'absence de filtre de certains autistes. 

L'autiste sans filtre et très verbal est une malédiction pour les narcissiques qui veulent toujours avoir raison car on les reprend systématiquement sur leurs erreurs sans apparence de politesse mais quand on apprend à vivre avec un autiste sans filtre, on comprend qu'ils sont souvent très très gentils et jamais vraiment dans le gros jugement personnel comme on croyait. 

Non tu n'iras pas pisser !!! 

C'est spécial de réaliser qu'on vit une sorte de maladie de Gilles de la Tourette mais qu'en fait, la nôtre nous fait dire ce qu'on pense vraiment, pas juste des choses insultantes ou... des tics nerveux. Il ne peut pas y avoir de retenue sans souffrances parce que je n'ai pas de tampon intérieur à paroles, de voix intérieure non plus. Quand j'ai un concept qui me passe par la tête en présence de quelqu'un, ça doit sortir comme quand j'ai envie de pisser... donc quand mon entourage demande que je fasse un effort pour me censurer, c'est comme quand vous avez vraiment envie de pisser d'urgence mais un conducteur de voiture refuse de s'arrêter, que vous sentez la goutte sur le bord de sortir dans vos culottes. Voyez le comme ça. 

Je n'ai pas la marge que vous voudriez quand vous demandez que je puisse censurer tout ce qui est tabou. Ça n'existe pas pour moi dans mon monde un tabou. Pour que le tabou existe, je dois avoir un tampon dans mon cerveau techniquement. Ce handicape plus complexe qu'il n'y parait se gère en contournant des choses mais je ne peux pas faire de miracles. Je peux juste m'arranger pour être intraitable envers moi-même quand je raisonne et pour avoir des arguments cohérents autres que la haine gratuite. Si j'étais une personne haineuse gratuite, ça serait un propos après l'autre. Je traiterait telle femme de pute, l'autre animateur de maudit roux laid etc. Ne pas avoir de filtre m'a forcé en quelques sortes à développer une belle personnalité pour me faire minimalement accepter et aimer. 

En conclusion : 

Voilà , c'est la première " pépite d'or " autistique que je laisse ici sur cette page pour les gens intéressés à cette condition, particulièrement celle des autistes sans déficience intellectuelle passionnés. Les autistes qui ont de grosses déficiences intellectuelles sont moins " menaçants " pour les gens narcissiques de notre société et leur absence de filtre cause peu de dangers. Les gens savent, font attention car ces autistes sont très handicapés en apparence. Les autistes avec déficience intellectuelle n'ont souvent aucune opinion politique assez complexe pour menacer le narcissisme des autres ou leurs certitudes ... mais moi oui. 

Je suis un fouille merde d'appellation populaire mais ... un bon fouille merde je trouve. 

À vous d'en juger

Marc-André Noiseux / 2025-02-21 · 07:09